Cet article fait suite à l'article N°20180801 du 05 août 2018 - La Russie au 19ème siècle.
Réfugiés depuis 1902 à Vienne, Trotsky et Parvus reviennent à Saint-Pétersbourg en 1905. Une fois la 1e Révolution avortée, ils sont emprisonnés en Sibérie, puis s'en évadent et reviennent de nouveau à Vienne pour y mener la grande vie de la "gauche caviar" autrichienne pendant huit ans, subventionnés par les services autrichiens et allemands. Parvus, devenu son patron, envoie Trotsky – en sa qualité d'homme d'action - faire des reportages sur la guerre des Balkans (1912-1913) pour la presse de gauche et pour les services secrets des deux empires.
A la déclaration de la guerre, en 1914, Trotsky passe en France comme correspondant de guerre, et citoyen de Russie, alliée de la France. Il mène un grand train de vie à Paris et en profite pour organiser une mutinerie à Mailly-le-Camp, au sein du corps expéditionnaire russe envoyé en renfort par la Tsar Nicolas II. Parvus, qui reçoit beaucoup d'argent du gouvernement allemand, organise les rencontres entre Trotsky et Lénine en Suisse afin de préparer la nouvelle révolution en Russie. Trotsky et Lénine sont rivaux pour en prendre la direction.
Expulsé de France vers l'Espagne en 1916, puis d'Espagne vers Cuba, grâce à ses amis haut placés, Trotsky vogue finalement avec sa famille de Cadix vers New York sur un paquebot de luxe, tous frais payés alors qu'il ne possédait pas un sou. Il arrive à New York en janvier 1917.
D'après la correspondance de Trotsky on sait que c'est Madame Schiff - épouse de ce banquier new-yorkais Jacob Schiff qui avait juré la perte de la Russie impériale – qui lui a fait passer les fonds ; et on sait aussi que Trotsky avait été informé de cette bonne nouvelle au préalable par le réseau familial de son oncle maternel Abraham Jivotovsky, banquier russe résident à New York, spécialisé dans l'importation des métaux en provenance de la société "American Metal Company" (AMCO).
Suite à l'abdication du Tsar en mars 1917, Trotsky s'embarque pour revenir en Russie, porteur d'une "caisse noire" de 10 000 dollars US – dit-on, pour les besoins de la révolution – fournie par les Américains. A ce moment son rival Lénine est déjà arrivé de Suisse en Russie dans son wagon plombé, avec l'aide des services allemands.
Deux clans d'une même ethnie rivaliseront désormais pour s'arroger le monopole de la Révolution russe : d'une part le clan de la finance anglo-américaine avec à sa tête la banque Morgan et Trotsky pour chef opérationnel surdoué, et d'autre part le clan socialiste révolutionnaire allemand s'appuyant sur la diaspora allemande aux Etats-Unis et sur Lénine comme leader sur le terrain. Pour masquer les liens existant entre Trotsky et les services britanniques, ces derniers iront jusqu'à emprisonner provisoirement Trotsky – pour un mois, en tant qu'agent allemand muni d'une forte somme d'argent qui lui a été donnée par les services allemands – au cours de ce voyage de retour, quand il arrivera à Halifax (Nouvelle Ecosse).
Trotsky arrive à Saint-Pétersbourg en mai 1917 avec sa famille et est pris en charge par Alexander Serebrovsky, un industriel russe ayant fait fortune dans le commerce du pétrole et du gaz (liens d'affaires avec l'américain Rockefeller – âgé de 90 ans à l'époque), dans les mines d'or (organisateur de l'industrie soviétique sous Staline), dans le commerce de l'armement (partenaire d'Abraham Jivotovsky, l'oncle banquier new-yorkais).
C'est Léon Kamenev-Rosenfeld (1883-1936) - né d'un père juif laïque et d'une mère russe orthodoxe, engagé dans la révolution auprès de Lénine, marié à une sœur de Trotsky - qui se charge d'établir le contact entre Trotsky et son compère et ennemi Lénine. A eux deux, ils feront la Révolution russe de 1917.
Une fois la paix signée avec l'Allemagne à Brest-Litovsk en mars 1918, la Révolution dégénère en une guerre civile (1918-1920) entre les bolchéviques et les "armées blanches" soutenues par l'étranger. Trotsky, commissaire du peuple aux affaires étrangères, chef de l'Armée Rouge, devient également commissaire du peuple aux transports. Dès ce moment il devient intéressé par les affaires économiques et ce poste lui fournira l'occasion de rembourser largement à l'américain Jacob Schiff et consorts, à son oncle Abraham, les sommes qu'ils avaient engagées pour le soutenir lorsqu'il était désargenté.
Des bruits alarmistes se propagent alors sur l'état catastrophique des chemins de fer russes, une dure répression s'abat sur les cheminots et il se dit que si on n'achète pas à l'étranger une grande quantité de locomotives à vapeur une énorme crise s'abattra sur le pays... alors que la Russie avait les moyens de fabriquer elle-même ces locomotives … La Russie devra payer à l'avance et en or, puisque le rouble soviétique n'a plus aucune valeur à l'étranger.
L'oncle Abraham Jivotovsky habite maintenant en Suède, continue à y faire des affaires, et c'est la Suède qui est le pays désigné pour fournir ces machines. Or la Suède ne produit plus de locomotives mais, grâce à la somme payée en avance, elle devra d'abord construire les usines qui les produiront en grande quantité, et c'est ensuite qu'elle remplira son contrat avec la Russie.
Le montant du contrat représente environ 25% des réserves d'or du pays.
Les lingots d'or arrivent à Stockholm, sont refondus pour effacer la trace de leur provenance et sont envoyés par des bateaux spécialement affrétés aux Etats-Unis. La banque Jacob Schiff en est le destinataire exclusif.
Tous les amis de Léon Trotsky sont récompensés par la suite, à l'image de Sir William Wiseman Bart (1885-1962), chef du M16 britannique et à l'origine du montage de la pseudo arrestation à Halifax, qui démissionne pour devenir jusqu'en 1960 membre du conseil d'administration de la banque Kuhn, Loeb and Co. aux Etats-Unis.
(1) Source :
Victor Loupan : « Une histoire secrète de la Révolution Russe » (Ed. du Rocher, 2017)